~Bienvenue cher invocateur...~
La campagne ionienne était en feu. Semblables à la lame cruelle d'un couteau de boucher, les soldats de Noxus ravageaient les terres sur leur passage, leur armure brillant d'un éclat sanglant dans le crépuscule. La lumière des temples dévorés par les flammes venait s'ajouter aux dernières lueurs du couchant, et l'écho de plusieurs cris d'angoisse se répercutait au loin. Niché dans les contreforts du Mont Tevasa se trouvait un petit village abritant une centaine d'âmes, mais qui ne comptait aucun grand guerrier. Plusieurs familles de ce hameau décidèrent de fuir. Certaines se tournèrent vers la prière. D'autres encore étreignirent leurs proches en pleurant. De leur côté, cinquante valeureux individus se préparèrent au combat. Ils nettoyèrent la saleté de leurs fourches et attachèrent des couteaux au bout de plusieurs manches à balai. Une panique grandissante était lisible dans les yeux de chacun de ces combattants. Ils savaient parfaitement que la situation était sans espoir. Alors que la poussière soulevée par les troupes de Noxus était déjà visible à l'horizon, il n'y avait plus grand chose à faire, sinon prier pour le pardon de leurs dieux. Les fils et filles de Ionia inspirèrent de grandes bouffées de l'air frais de la montagne, tournèrent leur regard vers les premières étoiles qui apparaissaient dans le ciel, et attendirent le massacre inéluctable qui allait survenir. Les neuf queues d'Ahri s'agitaient. Un simple tic nerveux. Ses sens aiguisés l'avertissaient d'un danger. Accroupie dans l'ombre d'un immense saule, elle écoutait, elle observait... et elle attendait. Cela faisait des semaines qu'elle observait les villageois, de loin, sans jamais se faire suffisamment confiance pour les approcher. Elle avait entendu les discussions de plusieurs familles autour de leur dîner, le rire de femmes qui auraient pu être ses sœurs, et les jeux des enfants. Ahri écoutait tout cela pendant des heures, disparaissant seulement lorsque l'envie devenait trop forte et lui comprimait le cœur. Elle ne comprenait pas grand-chose du fonctionnement des nations ou de la politique, mais son instinct lui soufflait que le monde d'aujourd'hui allait très mal. Curieuse et emplie de crainte pour les villageois, Ahri renifla l'air ambiant. Localisant la source de son inquiétude, elle s'élança alors dans la nuit. Sept éclaireurs noxiens se déplaçaient sans effort à travers les taillis et se rapprochaient toujours plus de la montagne. Ces hommes au regard sombre et aux yeux alertes gardaient une main sur leur arme en permanence tandis qu'ils se faufilaient à travers la pénombre naissante du soir. Ahri les repéra en quelques secondes et se mit à les suivre à travers la forêt. Alors qu'elle courait avec grâce au milieu des arbres, elle observa leurs mouvements et ses soupçons se firent plus pressants. Elle devina aisément la nature de leur mission : elle avait connu assez de batailles pour reconnaître des assassins au premier coup d'œil. Le capitaine de leur escouade scruta les fourrés. Sans ralentir un seul instant, il murmura un ordre rapide à l'homme qui le suivait et celui-ci le relaya au tueur suivant, derrière lui. Ahri n'y prêta aucune attention et continua à les poursuivre. Soudain, sept paires de mains s'emparèrent de sept flèches.
« MAINTENANT ! » hurla le capitaine. À l'unisson, les Noxiens visèrent Ahri et décochèrent une volée de flèches empennées de plumes de faucon.
Celle-ci esquiva l'attaque depuis les buissons, mais deux des projectiles vinrent déchirer sa tunique au niveau du bras. Arrachant la manche de sa tenue, elle se mit à couvert, ses yeux jaunes écarquillés sous le choc et enflammés par la colère. Elle n'aurait aucun remords après avoir tué ces individus. Ouvrant ses paumes vers le ciel, Ahri sentit la puissance brute de son esprit se déchaîner. Ses neuf queues se déployèrent dans toutes les directions tandis qu'elle conjurait des flammes blanches avec un cri de rage. D'un simple mouvement du poignet, elle fit apparaître trois feux follets qui tournoyaient autour d'elle. Elle esquiva une autre volée de flèches avant de se précipiter vers l'arbre le plus proche, repliant ses queues pour bondir depuis le tronc et se jeter sur ses assaillants. Les Noxiens se dispersèrent lorsqu'elle atterrit au milieu de leur troupe. L'un des assassins lui lança un couteau, mais sa lame ne put lui arracher que quelques cheveux au passage. Ahri dansait au milieu de ses ennemis à une vitesse hallucinante. Les feux follets qui l'entouraient engouffrèrent les trois hommes les plus proches. Des flammes blanches mordirent leur chair, mais l'arsenal d'Ahri ne se limitait pas à la force brute. Bondissant d'arbre en arbre, elle s'élança toujours plus haut sous les frondaisons. Elle repéra le capitaine de l'escouade accroupi au milieu des racines emmêlées de plusieurs arbres, son arc bandé. Ahri savait que si elle lui laissait la moindre chance, il n'hésiterait pas à lui planter une flèche en plein visage. Elle se déplaça silencieusement de branche en branche jusqu'à surplomber le capitaine, puis elle se mit à lui parler, et ses mots résonnèrent d'un étrange pouvoir de séduction, portés par sa voix enchanteresse.
« Humain, murmura-t-elle. Viens à moi. »
Le visage du capitaine perdit toute expression. Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, il posa son arc à terre et sortit de sa cachette. Levant les yeux, il jeta vers Ahri un regard hanté par le désespoir et le désir.
« À présent, grimpe », dit-elle en lui lançant un baiser.
Le capitaine, désormais esclave de sa volonté, se mit à agripper le tronc d'arbre maladroitement, cherchant des prises pour grimper. Ahri invoqua une sphère d'énergie flamboyante dans la paume de sa main, un globe luminescent dont l'apparence inoffensive dissimulait un terrible pouvoir. Elle ramena sa main derrière elle, se permit un sourire malicieux l'espace d'un instant, puis tendit le bras d'un geste brusque vers sa proie. L'orbe transperça le capitaine avant de revenir dans la main d'Ahri, et le corps de sa victime, encore fumant, s'effondra sur le sol de la forêt dans un bruit sourd. Les autres éclaireurs s'enfuirent, terrifiés, mais ni la fuite, ni les cachettes ne purent les sauver. Ahri bondit de branche en branche, ses neuf queues balayant l'air autour d'elle alors qu'elle abattait deux hommes avec de puissantes décharges d'énergie. Le dernier assassin s'écroula, les membres tordus, agrippant ses os brisés tandis qu'Ahri atterrissait près de lui avec grâce. Elle se saisit de la gorge du Noxien et approcha son visage du sien.
« Vous l'avez cherché », siffla-t-elle, avant de lui briser violemment la nuque sous la pression de ses doigts.
Une seule tâche restait à accomplir. Ahri n'avait aucun scrupule à gagner son humanité en l'arrachant à des misérables qui ne la méritaient pas. S'agenouillant près du Noxien, elle sentit son pouls s'évanouir peu à peu. Elle plaça ses mains de chaque côté de son visage. La lueur de son essence vitale s'écoula de ses yeux et de sa bouche et une puissante exaltation s'empara d'elle. L'humanité de sa victime se déversa dans son corps et elle sentit le renard en elle se replier un peu plus à chaque battement de cœur. Ses neuf queues s'enroulèrent sur elles-mêmes tandis qu'elle savourait cet intense plaisir, le visage illuminé par l'euphorie. Mais alors qu'elle s'abandonnait à cette glorieuse sensation, Ahri perçut des bruits de pas qui se rapprochaient. Les villageois, alertés par le tumulte du combat, étaient venus voir ce qui se passait. Elle se refusa à laisser les habitants du hameau la voir dans cet état, aspirant les derniers vestiges de la vie d'un homme. À leurs yeux, elle serait forcément un monstre terrifiant : une créature hybride, errante et damnée, ni humaine ni animale. À contrecœur, Ahri se détourna de son festin alors que des silhouettes se profilaient à travers les arbres et les buissons. Elle reconnut les hommes et les femmes qu'elle avait observés de loin, se souvint de cette amitié dont elle se languissait et qu'elle espérait partager avec eux un jour. Mais l'heure n'était pas encore venue. Ahri se retourna et s'enfuit dans les bois. Ses neuf queues, soudain bien lasses, traînaient derrière elle dans sa course folle.
FIN.
Merci d'être passé, bonne continuation !
Indochine
Depeche Mode
Placebo
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